« Res » veut dire « chose » en latin. Réifier revient à attribuer aux construits, aux propriétés, aux concepts, aux théories, la qualité d’une chose réelle.

La réification est un processus par lequel une propriété sera cognitivement transformée en une chose réelle, une substance.

On peut citer l’exemple de la masse qui n’est qu’une propriété (réelle) attachée à une chose mais non une chose réelle per se.

Pourtant la réification de cette propriété qu’est la masse, cette capacité d’un objet à résister au changement, induit très souvent en erreur.

Certaines personnes interpréteront à tort la formule E=mc² pour l’énergie qui n’est pas une substance mais la propriété de pouvoir changer, comme la possibilité pour l’énergie de se transformer en matière, c’est-à-dire en particules.

Et pourtant rien n’est plus faux.

Une propriété d’une chose réelle ne peut pas se transformer en chose réelle.

En effet si l’être b a les propriétés P1, P2, … , Pn, admettons qu’on puisse dire que b = {P1, P2, … , Pn}.

Or si b={P1, P2, … , Pn} alors P1(b) = P1(P1, P2, … , Pn) ce qui implique que la propriété P1 est la propriété d’une propriété.

Ce type de raisonnement mène à une régression sans fin.

Dire qu’une chose réelle est la somme de ses propriétés est donc un non-sens.

Une conclusion de cette petite démonstration, c’est que nous ne sommes pas la somme de nos croyances.

Afin, que chacun puisse s’approprier une grammaire de la pensée rigoureuse, je ne peux que conseiller la lecture de Mario Bunge.

Même si la réification d’une idée, d’un concept est un procédé parfois utile pour faciliter la communication et la compréhension, en permettant de rendre plus accessibles certaines idées abstraites, elle conduit souvent à des erreurs de compréhension du réel.

L’analyste, en particulier, devra toujours veiller à distinguer entre les choses réelles, les propriétés et les construits.

Pour que le lecteur puisse mieux comprendre le type d’erreurs auquel la réification peut conduire, voici quelques exemples :

Le temps et les secondes qui s’égrènent sont souvent prises pour des choses réelles, alors que le temps est juste une construction, un dérivé de ce qui distingue une chose d’un construit, à savoir la capacité de changer.

Un évènement est un changement des propriétés d’une chose simple ou d’un système, une modification de l’espace des états d’une chose.

Sans choses qui changent, il n’y aurait ni temps ni espace.

Le temps n’est en quelque sorte qu’un rapport entre deux évènements.

Un autre exemple est celui de la réification du moi.

Depuis au moins deux millénaires, les bouddhistes ont bien compris que le moi n’est pas une chose réelle, qu’il est simplement une fiction utile, une « vérité conventionnelle ».

Entre le sujet qui emploie le mot « je » et le « moi » narratif du sujet, il n’existe pas d’identité, mais simplement un processus d’identification qui sert à assurer le sentiment de la persistance temporelle de la représentation du « je ».

Même le moi prélangagier, phénoménologique ou minimum comme le dénomme certains philosophes de l’esprit, n’est pas une chose mais le résultat d’un processus continue d’unification des sens et d’intégration du réel.

Sur le sujet, je renvoie le lecteur à mon article :

Pour les bouddhistes, la réification inconsciente du moi est la source de la souffrance humaine.

Autre exemple de réification, la réification du mal.

Le mal, les « mauvaises pensées » qui émanent de notre être, certains ressorts inconscients, ont fait l’objet par les religions d’une projection suivie d’une réification, créant ainsi une entité imaginaire, le diable, que certains croyants considèrent comme une chose réelle qui évoluerait dans une surnature et interagirait avec les humains.

Il fut effectivement des temps et des lieux où l’intelligence de l’homme, peu portée au raisonnement abstrait, demeurait ancrée dans la concrétude.

Il était plus facile de s’imaginer lutter contre un être réel que contre une idée abstraite ou une pulsion inconsciente.

C’est pourquoi le mal appela le diable, le diable devint l’ennemi, et la guérison appela le combat.

Et pour reconnaître le mal afin de le guérir, il fallut que l’esprit créât le diable afin de désigner l’ennemi et engager le combat.

Les hommes auxquels s’adressèrent les prophètes ignoraient les concepts de névrose et d’inconscient, car les tréfonds de l’âme humaine demeuraient encore inexplorés.

La conscience balbutiante peinant à identifier ses démons intérieurs, il n’était pas concevable pour les hommes du passé de lutter contre une émanation de soi.

C’est la raison pour laquelle des hommes créèrent l’idée du diable.

Encore une fois, depuis des millénaires, la projection est à l’œuvre. C’est pourquoi, des représentations intérieures de l’homme qui produisaient du mal furent artificiellement expulsées du moi, puis projetées sur un être imaginaire désigné ennemi du moi et perçu comme désireux de le submerger et d’en prendre le contrôle.

Le diable devint alors l’envahisseur exécrable, l’émanation du mal et l’ennemi à combattre.

Ainsi, la figure du diable fut utile aux humains.

Car c’est en attribuant à un principe extérieur les mauvaises pensées fabriquées par son propre cœur que l’homme se décida enfin à les combattre.

Dans le cas du diable, on peut concevoir pour un temps, l’utilité de réification.

Au-delà des exemples décrits ci-dessus, la réification entrave le développement de la science et l’approche de la vérité, c’est à dire du réel.

Lorsque nous réifions des concepts, nous avons tendance à les accepter comme des vérités absolues, ce qui peut nous empêcher de les remettre en question et de découvrir de nouveaux modes d’appréhension du réel.

Il est important d’être conscient des dangers de la réification et de l’utiliser avec prudence.

Lorsque nous utilisons des concepts réifiés, nous devons toujours nous rappeler qu’ils ne sont que des construits et non des choses réelles.

Voici quelques conseils pour éviter les erreurs de compréhension du réel dues à la réification :

  • Être conscient des métaphores et des symboles que l’on utilise. Se demander ce qu’ils signifient littéralement et comment ils pourraient nous induire en erreur.
  • Ne pas confondre les lois de la nature et les énoncés de ces lois.
  • Ne pas confondre une propriété réelle et un prédicat. Un prédicat n’est pas une propriété mais une représentation conceptuelle d’une propriété réelle.
  • Eviter de pratiquer le transfert de projection dont parlait Edward T. Hall.
  • Se rappeler que la carte n’est pas le territoire.
  • Se poser toujours la question : De quoi parle t-on ? D’un concept, d’un construit, d’une propriété réelle ou d’une chose réelle.

En suivant ces conseils, vous pourrez faire de la réification est un outil utile pour la compréhension et non une source d’erreurs.