Résumé
Le récit selon lequel Paul Kagame et le Front Patriotique Rwandais (FPR) ont mis fin au génocide des Tutsis en 1994 en « vainquant les forces génocidaires » est une construction narrative soigneusement orchestrée, mais contestable.
Promu par le régime de Kagame et repris par certains observateurs internationaux, ce mythe simplifie les dynamiques complexes de la guerre civile rwandaise et du génocide.
Cet article, s’appuyant sur les analyses d’Allan J. Kuperman et d’autres sources, déconstruit ce récit en trois axes : la nature des combats du FPR, son refus stratégique du cessez-le-feu, et les exactions commises par le FPR avant et pendant le génocide.
Cette analyse révèle que le FPR déjà conscient que sa stratégie de conquête pré-génocide ne pouvait que rendre inévitable le génocide, étant donné l’état des choses, a priorisé la conquête du pouvoir sur l’arrêt des massacres et remet en question son image de « sauveur ».
Introduction
Le génocide de 1994, qui a coûté la vie à environ 500 000 Tutsis est souvent associé à la victoire militaire du Front Patriotique Rwandais (FPR) de Paul Kagame, présenté comme ayant stoppé les « forces génocidaires ».
Sur l’estimation du nombre de victime tutsi : https://epoche.fr/wp-content/uploads/2025/07/mcdoom_contested_counting_accepted_version.pdf
Ce récit, amplifié par le régime rwandais et soutenu par une communauté internationale marquée par la culpabilité, repose sur une simplification des événements.
Une déconstruction rigoureuse, basée sur des travaux académiques comme ceux d’Allan J. Kuperman (2001) et des témoignages de transfuges, montre que le FPR a poursuivi une stratégie militaire et politique privilégiant la prise du pouvoir, au prix d’un coût humain catastrophique qu’il avait anticipé.
Cet article examine trois aspects clés : la nature des combats du FPR, son refus du cessez-le-feu, et les accusations de crimes commis par le FPR, révélant les contradictions du mythe de Kagame comme « sauveur ».
1. La nature des combats : guerre civile contre les FAR, non contre les milices génocidaires
Le discours officiel du FPR présente ses victoires militaires comme une lutte contre les « forces génocidaires », un terme englobant les milices Interahamwe et les éléments extrémistes des Forces Armées Rwandaises (FAR).
Cependant, une analyse critique montre que le FPR a principalement combattu l’armée régulière rwandaise, qui n’était pas foncièrement génocidaire.
Selon Allan J. Kuperman (2001), dans The Limits of Humanitarian Intervention: Genocide in Rwanda, les opérations du FPR visaient la conquête du territoire et du pouvoir, plutôt que l’arrêt direct des massacres perpétrés par les milices.
Les FAR, engagées dans une guerre civile contre le FPR depuis 1990, étaient une force militaire conventionnelle, et non l’acteur principal des tueries génocidaires, qui étaient largement orchestrées par les Interahamwe.
Les milices Interahamwe, opérant avec des armes légères (machettes, fusils rudimentaires) dans des contextes locaux, étaient souvent éloignées des fronts militaires où le FPR affrontait les FAR.
Ainsi, la victoire du FPR, culminant avec la prise de Kigali en juillet 1994, a davantage désorganisé l’État rwandais qu’elle n’a stoppé les massacres.
Roméo Dallaire, commandant de la MINUAR, fait référence dans son livre à une déclaration du 30 avril 1994 émise par le FPR indiquant que le génocide était pratiquement achevé à cette date, parce qu’il ne restait plus de Tutsis à tuer dans de nombreuses régions » (Dallaire, 2003).
« Le temps de l’intervention de l’ONU est largement dépassé. Le génocide est presque achevé. La plupart des victimes potentielles du régime ont soit été tuées, soit ont fui depuis. » peut-on lire sur cette déclaration du 30 avril 1994.
Ainsi l’épuisement des cibles et la fuite des génocidaires ont joué un rôle plus significatif que l’action directe du FPR.
2. Le refus du cessez-le-feu : une stratégie pour prolonger la guerre
Un élément central de la déconstruction du mythe concerne le refus du FPR d’accepter un cessez-le-feu pendant le génocide, malgré les appels internationaux à une désescalade.
Dans son analyse, Kuperman (2001) soutient que le FPR, dirigé par Paul Kagame, a rejeté les propositions de cessez-le-feu, car un tel accord aurait gelé les fronts militaires, empêchant le FPR de prendre le pouvoir par la force.
Cette stratégie reflète un calcul politique et militaire délibéré.
Kagame a subordonné tout cessez-le-feu à des conditions qu’il savait impossibles, notamment l’arrêt des massacres.
Cette exigence, bien que moralement justifiable en apparence, était irréaliste dans le contexte.
Les massacres, perpétrés dans le cadre d’un programme dit d’« autodéfense civile », étaient une réponse directe à l’offensive de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR), la branche militaire du FPR, et à l’escalade de la guerre civile.
Exiger la fin des massacres sans mettre un terme préalable au conflit armé équivalait à poser une condition impossible à remplir, car les deux phénomènes étaient intrinsèquement liés.
En imposant ces conditions irréalisables, Kagame a pu donner l’apparence d’accepter un cessez-le-feu tout en poursuivant ses objectifs militaires.
Cette manœuvre lui a permis de rejeter la responsabilité du refus de la trêve sur ses adversaires, tout en continuant l’offensive pour s’emparer du pouvoir.
Selon Kuperman, cette stratégie illustre la volonté du FPR de privilégier la victoire militaire à tout prix, au détriment d’une solution négociée qui aurait pu limiter les pertes humaines.
Des témoignages de transfuges du FPR confirment que Kagame était conscient que la poursuite de la guerre civile, même au prix de massacres accrus, lui offrirait une opportunité stratégique pour conquérir le Rwanda.
Ce choix a eu des conséquences tragiques : en prolongeant la guerre, le FPR a indirectement permis aux milices Interahamwe de poursuivre leurs tueries dans les zones non contrôlées.
3. Les exactions du FPR : une poudrière avant le génocide
La déconstruction du mythe est renforcée par les accusations de crimes commis par le FPR avant et pendant le génocide.
Paul Kagame savait que les massacres perpétrés par le FPR avant le déclenchement du génocide – notamment l’élimination de près de 40 000 civils hutus en février 1993 – ainsi que les assassinats politiques ciblés et les infiltrations orchestrées par la Direction du Renseignement Militaire (DMI) ont semé un chaos indescriptible au Rwanda.
Ces actions, selon des rapports comme celui de MSF-Crash (1995), ont transformé le pays en une « poudrière » que l’attentat du 6 avril 1994, qui a coûté la vie au président du Rwanda, a suffi à enflammer.
Kagame, loin d’ignorer les conséquences probables de cette stratégie, en a sciemment accepté le coût, c’est-à-dire le génocide des Tutsis de l’intérieur.
Les opérations du FPR, en exacerbant les divisions ethniques et en alimentant la peur et la méfiance, ont créé les conditions propices à une escalade incontrôlable de la violence.
En poursuivant une stratégie militaire agressive violant massivement le droit humanitaire et le droit de la guerre, Kagame a privilégié la conquête du pouvoir, même au prix d’un coût humain catastrophique.
Cette décision, qualifiée par certains observateurs d’égoïste et criminelle, reflète une priorisation des objectifs politiques et militaires du FPR sur la préservation de la stabilité et de la vie des civils rwandais.
Comme le note MSF-Crash (1995), « sous la conduite du général Kagame, le FPR s’est livré à des tueries de Hutus organisées, avant, pendant et après le génocide des Tutsis », sapant l’image d’un mouvement moralement irréprochable.
4. La construction du mythe et son instrumentalisation
Le mythe selon lequel Kagame a « arrêté le génocide » est une construction narrative servant à légitimer son pouvoir autoritaire et à détourner l’attention des critiques.
Ce récit a été amplifié par la culpabilité internationale face à l’échec de la communauté internationale à intervenir en 1994.
Comme le note Mediapart (2019), « Paul Kagame a fait du génocide rwandais son fonds de commerce », utilisant la mémoire des victimes pour justifier ses politiques et ses interventions militaires en République Démocratique du Congo (RDC).
Des institutions comme le Musée de la Campagne contre le Génocide au Rwanda célèbrent la victoire du FPR tout en occultant ses exactions.
Des voix dissidentes, telles que celle du journaliste tutsi Jean-Pierre Mugabe, dénoncent cette réécriture de l’histoire, accusant Kagame de manipuler le récit du génocide pour consolider son pouvoir.
Cette instrumentalisation marginalise les critiques sous prétexte de « négationnisme », renforçant le contrôle autoritaire de Kagame tout en bénéficiant du soutien de puissances occidentales sensibles à son discours de reconstruction.
Conclusion
Déconstruire le mythe de Paul Kagame et du FPR comme « sauveurs » nécessite de démanteler les simplifications historiques.
Les travaux d’Allan J. Kuperman, combinés à ceux de Gérard Prunier et d’autres, montrent que le FPR, une fois avoir rendu le génocide inévitable, a priorisé la conquête du pouvoir sur l’arrêt des massacres.
En refusant un cessez-le-feu et en concentrant ses efforts sur l’armée régulière plutôt que sur les milices, le FPR a prolongé la guerre civile, permettant aux tueries de se poursuivre.
Les exactions du FPR, notamment les massacres de civils hutus et les infiltrations de la DMI, ont contribué à créer une poudrière avant le génocide, dont Kagame a accepté le coût humain.
Cette analyse ne nie pas la responsabilité des extrémistes hutus dans le génocide, mais invite à une lecture plus lucide de l’histoire rwandaise.
En exposant les contradictions du récit officiel, cet article rend justice aux victimes en évitant que leur mémoire ne soit instrumentalisée.
Comme le souligne Kuperman (2001), une intervention internationale plus rapide aurait pu limiter l’ampleur du génocide, mais les choix stratégiques de Kagame ont façonné un Rwanda où la victoire militaire prime sur la réconciliation.
Références
- Dallaire, R. (2003). Shake Hands with the Devil: The Failure of Humanity in Rwanda. Toronto: Random House Canada.
- Kuperman, A. J. (2001). The Limits of Humanitarian Intervention: Genocide in Rwanda. Washington, DC: Brookings Institution Press.
- MSF-Crash. (1995). Rapport sur les violences au Rwanda. Paris: Médecins Sans Frontières.
- Prunier, G. (1995). The Rwanda Crisis: History of a Genocide. New York: Columbia University Press.
- Mediapart. (2019). « Paul Kagame a fait du génocide rwandais son fonds de commerce. »
- Archives du TPIR faisant notamment état des infiltrations, assassinats politiques, de l’usage de l’agafuni, de la décision d’assassiner le Président Habyarimana – epoche.fr/wp-content/uploads/2025/03/archives-tpir-rwanda.pdf
- Acte d’accusation espagnol faisant état des massacres de février 1993 perpétrés par le FPR – epoche.fr/wp-content/uploads/2024/04/spanish_indictment.pdf