Le nominalisme enfantin désigne une croyance simpliste selon laquelle l’étiquette attribuée à une personne ou à une action suffit à en définir l’essence, indépendamment du comportement ou de l’argumentation de cette personne.
Ce concept, qui tire son nom d’une analogie avec la pensée enfantine où nommer quelque chose équivaut à le comprendre ou à le contrôler, est devenu une stratégie courante dans les interactions sociales modernes, notamment à l’ère des réseaux sociaux et de la polarisation.
En s’appuyant sur cette logique, une personne peut s’auto-attribuer une étiquette positive pour projeter une image souhaitée ou masquer des comportements négatifs, exploitant ainsi la puissance symbolique des mots.
Un individu peut aussi coller une étiquette à une personne pour discréditer son discours sans avoir à fournir le moindre effort d’argumentation.
Par exemple, le terme « facho » sera souvent utilisé à tort et à travers par certains militants pour générer une simplification cognitive.
« facho », « extrémiste », « idéaliste » agissent comme des raccourcis mentaux et réduit la complexité d’une personne ou d’une action à une catégorie simple, ce qui influence la façon dont les autres perçoivent l’individu.
Qualifier quelqu’un de « facho » peut amener autrui à rejeter ses propos sans les analyser, même si l’étiquette est injustifiée.
Mécanisme du nominalisme enfantin
Le nominalisme enfantin repose sur l’idée que l’étiquette a un pouvoir performatif.
En s’autodésignant ou en désignant l’autre d’une certaine manière, le sujet cherche à influencer la perception qu’autrui a de lui, voire à se convaincre de sa propre identité.
En projetant sur l’autre une étiquette, il espère actionner ce mécanisme de sorte que les tiers puissent succomber à son pouvoir performatif.
Ce phénomène s’inscrit dans des dynamiques psychologiques et sociales bien étudiées, telles que :
La dissonance cognitive (Festinger, 1957) :
Une personne ressentant un conflit entre ses actions (ex. : comportements racistes) et son image de soi peut adopter une étiquette positive (ex. : « antiraciste ») pour réduire cet inconfort.
L’auto-agrandissement (self-enhancement):
S’attribuer une étiquette valorisante permet de renforcer l’estime de soi ou de projeter une image favorable (Heine & Lehman, 1997).
La gestion de l’impression (impression management) :
En adoptant une étiquette socialement désirable, une personne manipule la perception des autres pour gagner leur approbation ou éviter les critiques (Tedeschi, 1981).
Exemples concrets
Masquer le racisme par l’antiracisme :
Une personne adoptant des comportements discriminatoires peut se proclamer « antiraciste » pour détourner les soupçons.
Par exemple, un individu pourrait partager des messages antiracistes sur les réseaux sociaux tout en tenant des propos discriminatoires en privé, exploitant l’étiquette pour créer un effet de halo (Nisbett & Wilson, 1977).
Cacher son propre tribalisme ou une solidarité ethnique par l’opposition au tribalisme :
Une personne qui favorise son groupe au détriment des autres (comportement tribaliste) peut se présenter comme « opposée au tribalisme » pour projeter une image d’ouverture et d’universalisme.
Ce paradoxe est fréquent dans les débats politiques, où des acteurs revendiquent des valeurs universelles tout en agissant de manière partisane.
Ces exemples illustrent comment le nominalisme enfantin permet de manipuler la perception sociale en s’appuyant sur des étiquettes qui ont une forte charge symbolique dans un contexte donné.
Pourquoi cette technique est-elle si répandue aujourd’hui ?
Plusieurs facteurs expliquent l’essor du nominalisme enfantin dans les sociétés contemporaines :
Pression des normes sociales : Dans des environnements où certaines valeurs (antiracisme, égalité, universalisme) sont fortement valorisées, s’attribuer les étiquettes correspondantes devient une stratégie pour éviter les critiques ou gagner en légitimité.
Amplification par les réseaux sociaux :
Les plateformes comme X permettent de diffuser rapidement des étiquettes autoproclamées, souvent sans vérification des comportements réels.
Les « signaux de vertu » deviennent un moyen efficace de se positionner dans un débat public (Jordan et al., 2016).
Polarisation et simplification : Dans un climat de polarisation, les étiquettes simplifiées (« antiraciste », « patriote », « progressiste ») servent de raccourcis pour se ranger dans un camp, même si les actions contredisent ces labels.
Faible coût de l’autoproclamation :
Contrairement aux actions concrètes, adopter une étiquette est peu coûteux et offre des bénéfices sociaux immédiats, comme la reconnaissance ou l’approbation.
Conséquences et limites
Si le nominalisme enfantin peut être efficace à court terme pour manipuler l’image de soi ou d’autrui, il présente des limites :
Risque de discrédit : Lorsque les contradictions entre l’étiquette et les comportements deviennent évidentes, la personne risque de perdre sa crédibilité.
Par exemple, un scandale révélant des comportements racistes chez une personne se disant antiraciste peut entraîner une chute brutale de réputation.
Effet boomerang : L’usage excessif de cette stratégie peut susciter du cynisme ou de la méfiance envers certaines étiquettes, affaiblissant leur portée symbolique.
Conflit interne : Sur le plan psychologique, maintenir une dissonance prolongée entre étiquette et comportement peut engendrer du stress ou de l’anxiété, sauf si la personne rationalise pleinement ses actions (Vaidis & Halimi-Falkowicz, 2007).
Conclusion
Le nominalisme enfantin est une stratégie puissante et répandue qui exploite la charge symbolique des étiquettes pour façonner l’image de soi ou masquer des comportements contradictoires.
En s’appuyant sur des mécanismes psychologiques comme la dissonance cognitive, l’auto-agrandissement et la gestion de l’impression, cette pratique permet de naviguer dans des contextes sociaux exigeants, mais elle comporte des risques de discrédit et de perte d’authenticité.
Comprendre ce phénomène, à la croisée de la psychologie sociale, de la cognition et de la communication est essentielle pour ne pas tomber dans ce piège cognitif.
Bibliographie :
– Festinger, L. (1957). A Theory of Cognitive Dissonance.
– Heine, S. J., & Lehman, D. R. (1997). Culture, dissonance, and self-affirmation.
– Tedeschi, J. T. (1981). Impression Management Theory and Social Psychological Research.
– Jordan, J. J., Sommers, R., Bloom, P., & Rand, D. G. (2016). Why Do We Hate Hypocrites? Evidence for a Theory of False Signaling.