Le « progressisme » est souvent brandi comme un étendard de vertu. Or, l’étiquette ne garantit pas l’essence.

Une idée estampillée « progressiste » n’incarne pas nécessairement un progrès.

Aujourd’hui, une frange du discours progressiste promeut une vision où l’identité individuelle, érigée en noyau intouchable, dispenserait l’individu de toute adaptation.

Cette posture, séduisante en apparence, mène à une impasse cognitive et sociale, fragilisant à la fois l’individu et le collectif.

La sacralisation de l’identité : un refus de l’adaptation

Certains discours contemporains soutiennent que l’identité individuelle – croyances, particularités, idiosyncrasies – posséderait une réalité quasi tangible, une essence inaliénable qu’il faudrait préserver à tout prix.

Selon cette logique, la société aurait pour mission d’accueillir toutes les expressions identitaires, même les plus extrêmes, toutes les idées même les plus stupides, sans jamais exiger d’adaptation, perçue comme une atteinte à l’intégrité de l’individu.

Cette réification de l’identité confère à chaque personne une centralité absolue, où toute demande d’évolution ou d’intégration de nouvelles perspectives est assimilée à une violence contre son « trésor » identitaire.

Cette logique culmine dans la théorie des micro-agressions, qui invite à interpréter tout ressenti désagréable, même fugace, comme une agression implicite.

Le « micro-agresseur », souvent inconscient, est sommé de se réformer, tandis que le « micro-agressé » est encouragé à cultiver une hypersensibilité, érigée en vertu.

Loin de protéger, cette valorisation de la fragilité dispense l’individu de résilience face aux interactions sociales, le rendant dépendant d’un environnement artificiellement ajusté à ses singularités.

L’adaptation : un processus vital, non une aliénation

Refuser l’adaptation, c’est méconnaître un principe fondamental de la vie.

Comme l’illustre la biologie, un organisme qui cesserait de s’adapter à son environnement périrait.

La membrane cellulaire garantit l’individualité tout en permettant des échanges essentiels. De même, l’individu, en s’ouvrant à de nouveaux schèmes de pensée, enrichit son identité au lieu de la dissoudre.

Selon la terminologie piagétienne, l’accommodation – l’intégration de nouvelles perspectives – est essentielle au développement cognitif.

Karl Popper, dans La société ouverte et ses ennemis, souligne qu’une société prospère grâce à l’échange critique et à l’incorporation d’idées nouvelles (Popper, 1979, p. 248, 271).

Refuser cette dynamique, c’est condamner l’individu à une stase intellectuelle et la société à l’atrophie.

Poussée à l’extrême, la revendication du « droit de ne pas s’adapter » aboutit à un paradoxe : en sacralisant les particularismes, on prive l’humanité de sa capacité à se réinventer.

Loin de créer un refuge pour la singularité, une société qui exonère l’individu de toute adaptation engendre un monde où la pensée s’éteint, où l’échange s’étiole, et où le collectif s’expose au dépérissement.

Une société qui s’efforcerait d’accommoder chaque idiosyncrasie individuelle, sans jamais exiger la moindre adaptation, créerait un environnement où l’individu cesserait de distinguer son être de son milieu. 

Cette fusion, loin d’être une harmonie, s’apparenterait à une dissolution: l’individu, privé de la tension dynamique qui le définit face à son environnement, perdrait ce qui constitue son identité même.

L’hypersensibilité comme pathologie sociale

Cette fragilisation cognitive trouve un écho dans l’hypersensibilité aux discours jugés offensants.

L’étude PATURE (2001-2019), dans le cadre du contrat européen éponyme, éclaire ce phénomène par une analogie médicale.

En démontrant que la moindre exposition aux agents microbiens augmente les allergies chez les enfants, l’hypothèse de l’hygiène révèle que l’évitement des agressions extérieures fragilise l’organisme.

De même, Atkinson soutient que « si nous voulons renforcer la société face aux discours offensants, nous devons permettre leur circulation ».

Ainsi, à l’image des maladies infantiles, notre résistance croît avec l’exposition.

Criminaliser le langage – critique, sarcastique ou simplement divergent – abaisse le seuil de résilience sociale, transformant l’hypersensibilité en pathologie collective.

Contre la censure, la robustesse du dialogue

Face aux discours perçus comme intolérants, la réponse ne réside pas dans la censure, mais dans un dialogue robuste.

« La liberté d’être inoffensif n’est pas une liberté », affirmait Lord Bear.

Atkinson renchérit : « Si nous voulons une société forte, nous devons encourager un débat ouvert, y compris le droit d’offenser. »

Salman Rushdie dénonçait déjà cette « industrie de l’indignation » qui, sous couvert de bienveillance, instaure une forme d’autoritarisme.

Les censeurs, prétendant n’être intolérants qu’à l’intolérance, substituent une orthodoxie à une autre, étouffant la diversité des idées.

Une société saine absorbe les propos inconfortables sans recourir à la répression.

La liberté d’expression, y compris le droit d’offenser, est essentielle pour préserver la robustesse d’une démocratie.

Comme le souligne Atkinson, la résilience sociale ne se décrète pas : elle se forge dans la confrontation des idées, non dans leur étouffement.

Conclusion : pour une société immunisée, non aseptisée

En sacralisant l’identité et en criminalisant le langage, certains discours contemporains, bien qu’animés d’intentions empathiques, menacent l’intégrité cognitive de l’espèce humaine.

Ils promeuvent un individu fragile, dispensé d’adaptation, et une société flasque incapable de conduire au perfectionnement de l’esprit humain en tirant l’individu vers le haut.

Pourtant, c’est dans la tension dynamique entre l’individu et son environnement, entre les idées et leurs contradictions, que naissent le progrès et la résilience.

Pour Atkinson, le terme « résilience » appliqué à la société devrait céder la place à « robustesse » ou « immunité ».

Une société robuste ne craint pas l’offense : elle la transforme en carburant pour un débat vivant, garant d’une humanité capable de se réinventer et surtout de se perfectionner.