Détecter une campagne d’influence et évaluer son succès n’est pas simple, puisque par définition, l’influence est un jeu qui se pratique en partie dans l’ombre.
Un esprit qui s’intéresse aux opérations d’influence visant à promouvoir des récits convenus doit éviter, selon Jean-François Gayraud, deux écueils :
Il ne doit surtout pas tomber dans une forme de négationnisme qui consiste à considérer que l’histoire ne serait pas soumise à des forces obscures, discrètes et se laisser piéger par une vigilance anti-complotiste pathologique encouragée par ceux qui, comme mécanisme de protection de leurs récits convenus, qualifient de complotistes ou de négationnistes des raisonnements dérangeants.
Une autre vision tout aussi simpliste, paranoïaque et dangereuse est celle d’une histoire qui serait « l’œuvre de discrets marionnettistes qui agiraient en coulisse et réduiraient à l’état de jouets passifs des politiciens cupides ou apeurés ».
Ces deux visions, naïveté et vrai complotisme, sont toutes les deux tronquées et aboutissent à rejeter une hypothèse troublante ou à protéger exagérément un paradigme consensuel, soit en rejetant d’emblée une nouvelle grille d’explication par l’occultation et l’étouffement, soit en le ridiculisant par l’anathème.
Encore une fois, le « refus de considérer que des forces discrètes existent est tout aussi peu crédible que de leur accorder une toute puissance ».
Finalement, l’une des méthodes permettant de détecter les opérations d’influence consiste à détecter ses conséquences présumées. Les stratégies d’influence n’ont évidemment pas vocation à être rendues publiques.
Ce ne sont pas des choses réelles observables, de la même façon que, dans le domaine quantique, le boson de Higgs n’est pas observable.
Seuls les effets d’une stratégie d’influence comme les effets du boson de Higgs peuvent être observables.
Parmi ces effets, on peut citer notamment le double standard et/ou la violation des normes non suivies de réactions.
Pour évaluer l’efficacité de la stratégie d’influence et de contre-influence du Rwanda, il convient notamment de détecter certains faits révélant l’application d’un double standard, l’existence de violations de normes essentielles non suivies de sanctions ainsi que certains modes d’expression directe de l’influence.
À titre d’exemple, la guerre d’agression militaire menée par l’APR depuis l’Ouganda à partir du 1ᵉʳ octobre 1990 conjointement avec l’armée ougandaise ( National Resistance Army) ne sera pas qualifiée d’agression territoriale par la communauté internationale, et ce, alors même que « la violation de la souveraineté d’un pays, la planification et la conduite d’une guerre d’agression figure parmi les plus grands crimes reconnus par le droit international et que l’article III de la charte de l’Organisation de l’union africaine alors en vigueur à l’époque et opposable à l’Ouganda et au Rwanda disposait comme il suit :
« Les États membres, pour atteindre les objectifs énoncés à l’article II, affirment solennellement les principes suivants :
1. Égalité souveraine de tous les États membres ;
2. Non-ingérence dans les affaires intérieures des États ;
3. Respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque État et de son droit inaliénable à une existence indépendante »
Le 1ᵉʳ octobre 1990, l’agression perpétrée contre le Rwanda fut l’œuvre de réfugiés tutsi présents sur le territoire ougandais depuis le début des années 60, réfugiés enrôlés dans l’armée de résistance nationale ougandaise par Yoweri Museveni, actuel chef d’État de l’Ouganda, aux fins de déposer en 1986 Milton OBOTE, le président ougandais de l’époque.
Ainsi, dans le cadre de la politique ougandaise de l’indigénéité, les réfugiés Tutsi furent formés en Ouganda au sein du mouvement de résistance dirigé par Museveni et se virent offrir une base logistique pour préparer la guerre contre le Rwanda voisin.
Paul Kagamé, lui, sera nommé directeur adjoint des services de renseignement. Pourtant, l’article 23 de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples applicable au 1ᵉʳ octobre 1990, disposait, dans son paragraphe n° 2 :
« Dans le but de renforcer la paix, la solidarité et les relations amicales, les États, parties à la présente Charte, s’engagent à interdire :
a) qu’une personne jouissant du droit d’asile aux termes de l’article 12 de la présente Charte entreprenne une activité subversive dirigée contre son pays d’origine ou contre tout autre pays, partie à la présente Charte ;
b) que leurs territoires soient utilisés comme base de départ d’activités subversives ou terroristes dirigées contre le peuple de tout autre État partie à la présente Charte. »
En l’espèce, l’activité de l’APR de Paul Kagamé se situait exactement dans le cas de figure envisagé par la Charte.
Et pourtant, le FPR, avec l’aide de sa diaspora et avec l’appui des États-Unis, parvint à façonner une image de l’APR pour en faire une armée de libération alors que juridiquement ses opérations relevaient tout simplement d’une agression territoriale.
On peut également déceler une opération d’influence lorsque l’on considère la vision convenue de la période allant du 1ᵉʳ octobre 1990 au 5 avril 1994 (veille de la destruction de l’avion présidentiel).
Rappelons que le 8 février 1993, le FPR lancera une offensive contre le Rwanda qui fera 40 000 morts, pour la plupart des civils, et provoquera le déplacement d’un million de réfugiés de guerre « qui viendront s’entasser dans des bidonvilles sur les collines autour de Kigali ».[1]

Selon René Lemarchand, la majorité des Interahamwe fut recrutée parmi les « internally displaced persons », c’est-à-dire les Hutu déplacés consécutivement au « petit » génocide burundais de 1972, mais aussi aux attaques du FPR depuis 1990.
Selon un rapport de HWR, entre le 1ᵉʳ octobre 1990, date de l’agression de l’APR, et le 21 janvier 1993, 2000 morts tutsi seront à déplorer[2].
Ainsi, entre le 1ᵉʳ octobre 1990 et le 5 avril 1994, le nombre de victimes civiles rwandaises hutu aura été au moins 10 fois supérieur à celui des rwandais tutsi sur la même période.

Cet état de fait incontestable n’a pourtant jamais été mis en exergue, possiblement parce que la campagne d’influence menée par le FPR fut particulièrement efficace, Paul Kagame ayant lui-même été formé aux opérations psychologiques par l’armée américaine.
[1] Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Mission d’Information de la Commission de la Défense National et des Forces Armées et de la Commission des Affaires Etrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994 – https://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp#P1893_240341
[2] https://www.usip.org/sites/default/files/file/resources/collections/commissions/Rwanda93-Report.pdf