Depuis des décennies, les départements de sciences sociales soutenus par des gouvernements voyant dans les chercheurs en sciences sociales, des scientifiques capables de leur fournir des techniques d’ingénierie sociale aptes à mieux contrôler et orienter le corps social, ont imposé leur paradigme, celui d’une société qui écrase et passe devant l’individu, relégué au rang d’un être déterminé socialement, hypersocialisé.

La société, l’objet de la sociologie, le choix du paradigme holistique, c’est-à-dire de l’examen du tout au détriment de ses parties, ont fait de la société une fin en soi.

« Un homme civilisé ne confond pas les fins et les moyens. Il ne sacrifie pas les fins pour l’amour des moyens » déclarait le grand penseur soudanais Mahmoud Mohammed Taha, exécuté en 1985 pour avoir demandé l’abolition de la charia.

En ce début du XXIe siècle, les dirigeants des nations commettent cette même erreur.

Au lieu de voir dans la société l’instrument du perfectionnement de l’esprit humain, ils considèrent le corps social comme une fin en soi, sans se préoccuper de l’impératif de conservation de l’intégrité cognitive de notre espèce.

L’idée que la finalité de toute civilisation devrait être de conduire l’être humain vers des degrés toujours plus élevés de liberté est pratiquement considérée comme une hérésie par les partisans du contrôle social.

Dans la continuité des sacrifices humains qui étaient pratiqués dans le but d’apaiser les Dieux, le sacrifice de la liberté individuelle au profit de la société, est considéré comme le résultat d’un choix rationnel, alors qu’il ne peut y avoir de perfectionnement de l’esprit humain sans accroissement continu de la liberté cognitive individuelle.

Ainsi, la recherche du maintien de l’ordre social et de la paix sociale, l’adhésion aveugle aux théories postmodernes fait désormais passer l’épanouissement de notre espèce au second rang et contribue à générer un affaissement cognitif général des populations.

Certains scientifiques brillants s’inquiétant de la possibilité d’une régression lancent des cris d’alarme qui ne sont pas ou peu entendus. Le risque d’involution de notre espèce n’est plus une simple vue de l’esprit.

Miguel Nicolelis, l’un des plus grands neuroscientifiques du XXIe siècle nous alerte en ces termes : « Aussi terrifiant que cela puisse paraître, beaucoup ont déjà décidé que tout ce qu’une machine de Turing ne pouvait pas faire n’était pas important, ni pour la science ni pour l’humanité.

C’est pourquoi je crains que les chercheurs en intelligence artificielle ne soient pas les seuls à penser comme cela. Pire, je m’inquiète du fait qu’à force de devenir aussi à l’aise et dépendant de la façon dont les machines digitales fonctionnent, notre cerveau de primate à haute capacité d’adaptation puisse courir le risque d’imiter la façon dont ces machines fonctionnement.[…]

Si cette tendance continue, notre espèce pourrait devenir des sortes de zombies à l’intelligence modérée. »

Justement, à force de recourir aux techniques de l’ingénierie sociale, à des nudges, à des fudges, à force de limiter l’exercice de la pensée analytique indépendante, à force de promouvoir des théories normatives inconsistantes, pour générer une forme de prévisibilité, pour amplifier le déterminisme social et la conformité sociale, à force d’encourager les identifications faciles, de prôner l’imitation, de sacrifier la liberté individuelle au profit de la collectivité, la société valorise des fonctionnements digitaux, robotisés et est en passe de réduire l’être humain à une simple machine de Turing.

À force d’exacerber le paradigme de l’être social, hypersocialisé, d’assigner à l’individu des scripts de comportement, de pensée et de représentation de soi stéréotypés, à force d’empêcher l’individu de reprendre en main son moi narratif, l’air du temps insémine dans l’esprit humain les germes d’un appauvrissement cognitif conséquent.

Le conformisme imitatif que décrit Ibn Rushd de Cordoue, plus connu sous le nom d’Averroès, le transfert de projection, l’identification du sujet à un moi narratif figé, l’attitude dogmatique en lieu et place de l’attitude critique, le manque d’hygiène épistémique, portent atteinte à l’intégrité cognitive de notre espèce.

En définitive, sous prétexte de viser la paix sociale, notre civilisation occidentale risque de produire une société composée d’individus privés d’une partie de leurs capacités cognitives, d’êtres humains emprisonnés dans les œillères du présent, définitivement détachés de toute diachronie, une société de reliquats d’êtres humains, c’est-à-dire de morts-vivants*.

Extrait tiré de « Activismes » :