La sémiologie fait partie des sciences du langage.

Selon Ann Swidler, « un code sémiotique est un système autoréférentiel de significations dans lequel, chaque élément aspire à sa propre signification non pas sur la base de ses propriétés inhérentes ou à partir de référents extérieurs, mais à partir de significations créées par le code lui-même. »

Dans les ouvrages de sémiologie, cette matière est souvent définie comme « la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ».

Évidemment, la lecture d’une définition est rarement suffisante pour comprendre un concept ou un système théorique, puisque telle ou telle formulation sera le plus souvent le résultat d’un processus d’abstraction visant à habiller de mots, de signifiants, un mécanisme très concret.

Aussi, pour aller au-delà de cette définition abstraite qui rend la compréhension du mécanisme décrit ardu, il est préférable d’exposer les mécanismes très concrets qui sont à l’œuvre lorsqu’un système sémiotique vient influencer l’action.

Dans son ouvrage, « Talks of Love », Ann Swidler résume parfaitement le recodage du genre par les activistes du genre.

Le recodage sémiotique ne consiste pas à convaincre les individus de changer, d’être différents, mais de leur suggérer ou d’inséminer dans leur esprit, l’idée que certains styles ou comportements qui ont cours depuis très longtemps, sont désormais vus ou réinterprétés de manière complètement différente.

Un recodage pourra par exemple viser à faire accroire que l’expression des attributs traditionnels de la masculinité signalerait une « certaine insécurité vis-à-vis de sa propre masculinité ».

Ainsi l’archétype de la masculinité sera tourné en ridicule par les néoféministes pour se voir remplacer par un archétype non moins ridicule, celui de l’homme déconstruit.

Ici, la philosophie des sciences devrait être convoquée pour statuer par exemple sur le degré de scientificité de la proposition selon laquelle certaines expressions révèleraient « une insécurité par rapport à la masculinité ».

Quel est le degré de falsification d’une telle hypothèse. La classe des falsificateurs virtuels de cette hypothèse est-elle vide ou cette hypothèse possède-t-elle un degré de falsifiabilité.

Bref, existe-t-il un dispositif expérimental, statistique, permettant de falsifier cette hypothèse.

En l’absence de réponse positive, la seule conclusion à tirer est que cette théorie possède un très faible degré de scientificité et n’est qu’une rationalisation visant à influencer les comportements des hommes.

Dans la même veine, les vertus attribuées à la féminité seront recodées de sorte que l’ancien stéréotype soit interprété comme caractérisant la femme manipulatrice égoïste.

Les « vraies » femmes seront fortes, dures et sexuellement ouvertes, les autres, celles appartenant à l’ancienne catégorie feront l’objet d’un recodage sémiotique et seront reléguées dans la classe des femmes dépendantes, sans défense, vulnérables, manipulatrices et égoïstes.

Ce que l’on sait par exemple, c’est que les femmes se suicident sensiblement moins que les hommes, parce que les femmes valoriseraient plus l’interdépendance, consulteraient plus facilement leurs proches et accepteraient plus volontiers leur aide.

Quant à l’homme, il valoriserait plutôt l’indépendance et verrait dans la demande d’aide un signe de faiblesse.

À l’heure du néoféminisme, certains traits attachés au nouveau code sémiotique promu par l’activisme feront de la femme un être fort, déterminé, voire dangereux.

Des éléments de ce code se retrouveront dans ce titre de chanson : « sous mon sein la grenade » ou dans des paroles du type « Je ne peux pas oublier ton cul et le grain de beauté perdu » composées par la chanteuse française, Clara Luciani.

La puissance de ces nouveaux codes sémiotiques promus par les activistes de cette nouvelle féminité est telle, qu’une asymétrie entre l’homme et la femme se dessine dans le paysage sémiotique.

Une femme pourra effectivement chanter « Je ne peux pas oublier ton cul », mais un homme blanc qui déclarera adorer le cul des Africaines sera aussitôt doublement condamné.

Ainsi, les codes sémiotiques influencent les comportements en attachant une profusion de significations culturelles à de simples comportements et paroles.

Les individus sont ainsi contraints d’ajuster leurs comportements, par la connaissance implicite de la manière dont leurs actions seront lues ou interprétées par la société.

Ainsi, même lorsque l’action d’un individu représente pour lui une signification sans rapport avec celle véhiculée par le code sémiotique du moment, il s’abstiendra souvent d’agir ou s’obligera à agir uniquement parce qu’il aura connaissance de la manière diamétralement différente de la sienne, dont son action pourra être interprétée par la société.

Évidemment, la contrainte résultant du pouvoir d’influence des codes sémiotiques sera effective surtout dans un contexte public.

Dans l’espace privé, entre amis, l’individu pourra se libérer de ces injonctions normatives attachées à un code sémiotique qu’il disqualifiera en son for intérieur.

Les codes sémiotiques sont des forces qui agiront de l’extérieur vers l’intérieur et qu’il convient donc de distinguer du concept de culture internalisée, censée selon Max Weber, agir de l’intérieur vers l’extérieur.

Ces codes culturels particuliers que représentent les codes sémiotiques définiront de manière normative ce qu’une action individuelle signifie, et ce, indépendamment de la signification que l’auteur de l’action attribuera personnellement à son action.

Un tel mécanisme fait entrevoir cet aspect normatif de la culture, qui même lorsqu’elle n’est pas validée ou intériorisée, exerce une puissante influence sur l’action.

Dans un article intitulé « Application des règles sans moyens visibles : Cadeaux de Noël à Middletown », Théodore Caplow démontre que dans la pratique des cadeaux de Noël, un code sémiotique simple, mais contraignant est à l’œuvre, qui impose à l’individu de s’y conformer sans que son consentement soit recueilli.

Imposer un comportement, une action sans avoir besoin de recueillir le consentement de la personne. Telle est la puissance de l’encodage sémiotique.

Pour en revenir aux cadeaux, le code sémiotique infuse l’idée selon laquelle plus une personne est importante aux yeux de celui qui l’offre, plus le cadeau est important.

Il existe ainsi une proportion entre la valeur du cadeau offert et la valeur attribuée par le donateur au bénéficiaire de son don.

Ce code sémiotique est contraignant simplement parce que celui qui s’apprête à offrir un cadeau considérera que le récipiendaire aura lui-même connaissance de ce code.

Concrètement, même si pour lui, la valeur du cadeau ne signifie rien, dans la mesure où il sait qu’un code sémiotique est justement à l’œuvre, qui risque de façonner l’interprétation de celui qui recevra le cadeau, il aura tendance à s’y soumettre alors même qu’il ne validera pas en son for intérieur le code attaché à son action.

Finalement ce sera le récipiendaire du cadeau qui déterminera le sens à accorder à ce don, à travers la connaissance qu’il aura du code sémiotique définissant la signification publique du cadeau.

La fête des Mères est également l’exemple d’un code sémiotique qui s’est imposé au moyen d’une saturation publicitaire.

Ainsi comme le dit Ann Swidler, même le citoyen qui détecte l’origine commerciale trompeuse de l’origine de cette pratique, se retrouvera piégé par la publicité assénée autour de ce code sémiotique.

Évidemment, l’activisme, surtout lorsqu’il s’exerce au sein des départements de sciences sociales, sera conscient de l’intérêt qu’il pourra retirer de ces mécanismes aptes à imposer des comportements sans avoir besoin d’obtenir l’assentiment des individus.

En résumé, « le pouvoir des codes sémiotiques provient de la connaissance implicite du sujet de la manière dont son attitude sera lue par les autres » et ce, quand bien même il assignerait à son attitude une signification aux antipodes de celle produite par le code sémiotique en vigueur.

Extrait du livre  » Activismes: quand l’idéologie menace l’intégrité cognitive et la liberté de l’espèce humaine »