Toute personne qui prendrait la peine de lire le Coran dans l’ordre chronologique établi par la tradition pourrait constater une évolution défavorable de la posture de Mohammed vis à vis des juifs ainsi qu’une élévation du degré d’intolérance, de sévérité et de violence véhiculés par les versets coraniques.
Que le lecteur lise le Coran de la première sourate jusqu’à la dernière et il constatera l’aspect disparate des thèmes qui y sont abordés ainsi que l’absence d’un ordre et/ou d’un fil conducteur aisément décelable.
Cependant que le même lecteur entreprenne la lecture du Coran dans l’ordre chronologique établi par la Tradition, et sa perception change.
Cette seconde lecture révèle le caractère évolutif du message de Mahomet.
Malgré certains enchevêtrements, deux corpus se distinguent nettement, avec d’un côté un message se voulant universaliste, spirituel, doux et miséricordieux, axé sur le perfectionnement de l’individu, et de l’autre, un message politique, parfois légiférant, allant vers plus de sévérité et moins de liberté, ayant pour vocation de régir la communauté médinoise et de répondre aux diverses polémiques.
Cette partie du Coran d’origine médinoise semble très souvent dictée par les circonstances et apparaît comme particulièrement adaptée aux capacités psychologiques du peuple qui le reçoit.
Mais revenons au message mecquois que Mahmoud Mohammed Taha appelle le second message de l’Islam et que nous appelons le message initial ou ontologique.
Ces versets, que Mahomet délivre aux membres de la puissante tribu des Quraych, sont spirituels, puissants et cléments.
Certains diront que le Coran mecquois est tolérant tout simplement parce que Mohammed n’y était pas en position de force et ne pouvait se permettre d’être agressif ou polémique.
Au début de sa prédication, Mohammed se trouve confronté à l’incrédulité et à la résistance de la plus puissante tribu mecquoise, les Qurayshites qui refuse de suivre son appel et l’obligera même à quitter la Mecque pour s’exiler à Médine.
Le Coran dit de la période mecquoise, porte les traces de ce conflit :
« Allons-nous abandonner nos divinités pour un poète fou »
Dans le message initial que Mahomet délivre aux habitants de la Mecque, il y a l’affirmation de l’unicité de Dieu et le rejet du polythéisme.
Accepter en bloc la prédication de Mahomet revenait pour les membres de la puissante tribu mecquoise des Quraysch à renoncer au culte de trois déesses qui leur étaient familières et représentait une source de revenus, ce qui pour eux n’était pas envisageable.
Face à cette difficulté, Mahomet cède au compromis et justifie l’adoration des trois divinités espérant ainsi rallier ses auditeurs mecquois.
Ainsi, une propension intérieure au compromis l’incite à justifier l’adoration des déesses Allât, al-‘Uzza et Manat.
Une tradition rapportée notamment par Al-Tabari, connue sous le nom de « récit des grues », correspondant aux versets suivant les versets 19 et 20 de la sourate 53, tend à accréditer l’idée que ces versets seraient des versets authentiques, initialement intégrés dans le Coran, mais qui en auraient été extraits par la suite.
Même si ces versets ne figurent plus dans les éditions actuelles du Coran, le grand orientaliste Régis Blachère les intègre dans sa version française et les traduit comme suit :
« Ce sont les sublimes déesses / et leur intercession est certes souhaitée ».
L’objet du délit est donc là.
Mohammed a cédé à un compromis qui sacrifie le principe d’un monothéisme strict.
Réalisant que cette posture accommodante va à l’encontre du monothéisme strict qu’il professe, Mahomet réalise son erreur et revient sur ses propos.
Finalement pour réparer cette catastrophe dogmatique, la tradition inventa l’idée que le diable déposa lui-même ces versets sur la langue de Muhammad.
Le problème dogmatique qui résultait et résulte encore de ce fait vraisemblablement historique, était/est le suivant :
Affirmer ou laisser penser que Mahomet ait pu faillir, même si celui-ci fut apte à se ressaisir, sape les principes d’infaillibilité et d’impeccabilité du prophète développés à dessein par la tradition, lesquels fondent la charia.
Autre conséquence gênante : l’idée que Mohammed serait lui-même l’auteur de certains versets.
Si Mohammed est le créateur de certains versets, comment distinguer la parole de Dieu de la parole d’un homme ?
Consciente de cette catastrophe théologique, la tradition fut très gênée et, dans un premier temps, inventa l’idée que le diable avait insidieusement inspiré Mohammed admettant que Satan lui-même tenta de dicter à Mohammed un enseignement hérétique, avant d’extraire définitivement ces versets du Coran.
Le verset 52 de la sourate 22, de nature métatextuelle, fait très vraisemblablement référence à ces versets dits « sataniques » :
« Nous n’avons envoyé, avant toi, ni Messager ni prophète qui n’ait récité [ce qui lui a été révélé] sans que le Diable n’ait essayé d’intervenir [pour semer le doute dans le cœur des gens au sujet] de sa récitation. Allah abroge ce que le Diable suggère, et Allah renforce Ses versets. Allah est Omniscient et Sage. »
Le verset 23 de la sourate 53 est plus tardif. Il attribue à Mohammed un point de vue exactement opposé, à savoir que les trois déesses n’existeraient pas (« Allah n’a fait descendre aucune preuve à leur sujet »).
Mais revenons au message principal du Coran mecquois. Le monothéisme y est affirmé avec force. La toute-puissance d’Allah, la beauté de sa création, son caractère miséricordieux et omniscient, sont déclamés.
L’être humain est appelé à se soumettre au dessein que Dieu envisage pour sa créature. La loi qui sous-tend ce message est ontologique. Elle vise l’être.
Le message mecquois s’adresse à un homme achevé, doté de raison. C’est pourquoi, la possibilité de consommer du vin est considérée comme une bénédiction, « un signe pour les gens qui raisonnent » (Sourate 16, verset 67).
Les sourates de cette première période sont empreintes de tolérance, de respect et d’admiration pour les adeptes des autres monothéismes.
Mohammed apparaît particulièrement bien disposé vis à vis des juifs et des chrétiens, considérant que la vérité se trouve également dans les révélations antérieures.
Finalement, ce message initial sera rejeté par les habitants de la Mecque. Mohammed n’obtiendra que peu de soutien et se verra même contraint de fuir pour s’exiler à Médine.
A Médine, le statut de Mahomet change. Il n’est plus « l’avertisseur » mais le chef militaire, politique et religieux de la communauté médinoise.
Les sourates de cette période sont plus sévères. On y décèle aisément une forme de ressentiment vis à vis des chrétiens mais surtout des juifs qui, contrairement à ses espérances, ne le reconnaissent pas comme appartenant à la lignée des prophètes.
La législation se durcit. Mohammed semble s’être radicalisé.
Certaines interdictions deviennent absolues et la tolérance n’est plus prégnante.
Alors que le verset 43 de la Sourate 4 d’origine médinoise interdit aux croyants d’approcher la salle de prière alors qu’ils seraient ivres, jusqu’à ce qu’ils comprennent ce qu’ils disent, la sourate 5, postérieure, stigmatise la consommation d’alcool et établit une interdiction absolue : « Ô les croyants ! Le vin, les jeux de hasard, les statues, les flèches de divination sont une abomination inventée par Satan. Écartez-vous-en afin que vous réussissiez. »
La prédication médinoise s’éloigne du message ontologique hautement spirituel de la Mecque pour diffuser un message ajusté aux circonstances et au faible niveau spirituel de ses auditeurs.
La sanction se veut adaptée à la rudesse des mœurs du peuple. Le temps de l’annonce des vérités éternelles et immuables semble révolu.
Le principe de réalité rattrape Mohammed qui désormais légifère, assure la conduite politique et militaire de la communauté médinoise.
L’affirmation « Nulle contrainte en religion » (Sourate 2 verset 256 ) se voit abrogée et remplacée par des versets guerriers comme le verset 39 de la sourate 8 :
« Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus d’association, et que la religion soit entièrement à Allah… » puis par la sourate 9, verset 29 qui dispose en ces termes :
« Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, après s’être humiliés ».
Pour autant, même si bon nombre de versets médinois peuvent apparaître comme vengeurs, incitant au combat et à la stigmatisation des tribus juives, ceux-ci ne poseraient pas de problèmes dogmatiques s’ils étaient interprétés comme le simple témoignage de l’œuvre politique et militaire accompli à Médine par Mahomet.
Ce qui crée une vraie difficulté, c’est l’affirmation du caractère éternellement signifiant de ces versets.
De surcroît, ces versets sont le plus souvent des versets abrogeant et non abrogés. Nous pensons qu’ici se situe un véritable nœud dogmatique.
Devant la présence de versets contradictoires, la tradition créa la théorie de l’abrogation, qui n’est autre que le principe de l’abrogation du verset le plus ancien par le verset le plus récent lorsque ces versets traitent différemment d’une question similaire, et ce, en accord avec le verset 106 de la sourate 2 qui dispose en ces termes :
«Si nous abrogeons un verset ou si nous le faisons passer à l’oubli, Nous en apportons un meilleur ou un semblable. Ne sais-tu pas qu’Allah est omnipotent ? »
En définitive, la partie médinoise du Coran contient certains versets univoques qui légitiment la violence et qui viennent souvent abroger les versets mecquois emprunts de tolérance.
Nul ne peut sérieusement contester que la vengeance, la décapitation, la ruse, la guerre, l’assassinat politique…font partie du répertoire coranique ainsi que du corpus des traditions (hadiths) dites « authentiques ».
Mahomet ne permit-il pas la décapitation d’au moins 600 hommes de la tribu juive des Banu Qurayza ?
Certaines parties du Coran médinois et certaines traditions forment justement un sous-répertoire « religieux » à partir duquel les djihadistes ou les exterminateurs du Hamas viennent puiser leurs rationalisations, c’est à dire les justifications de leurs actes odieux.
Dans « le Coran expliqué aux jeunes », Rachid Benzine, enseignant à l’IEP d’Aix en Provence à la date de publication de ce livre, nous dit « Si un djihadiste cherche un passage violent (dans le Coran), il le trouvera, et il se dira conforté dans ce qui est en fait sa propre opinion préconçue du Coran. »
Or son opinion préconçue du Coran, c’est que le Coran serait la parole de Dieu éternellement vraie et signifiante.
D’une coté Rachid Benzine refuse catégoriquement de considérer certains versets du Coran comme « dépassés » ou plutôt « caduques » mais de l’autre, face aux versets intolérables, il convoque le contexte.
Face à la question : « Peut-on faire comme si les règles coraniques étaient dépassées et dire qu’elles ne sont plus valables aujourd’hui ? », l’auteur en est finalement réduit à devoir fonder sa réponse sur une simple pétition de principe, un raisonnement circulaire, puisqu’il répond :
« Non. Si l’on dit cela, on laisse croire que le Coran est défaillant ou dépassé. Il faut revenir à l’essentiel, au centre du message : L’affirmation de l’unicité de Dieu souverain. »
Ce type de réponse est assimilable à l’argument de la plupart des religieux et des défenseurs de la tradition, qui, lorsqu’ils sont confrontés à la critique de ceux qui leur opposent des versets coraniques cruels, violents, anti-juifs… déclarent tout simplement, que ces textes doivent être interprétés dans le contexte des circonstances de la révélation, c’est-à-dire de l’époque médinoise principalement.
Or si ces versets sont liés au contexte, ils ne peuvent être éternellement signifiants et sont donc caduques.
Ce à quoi, un imam ou un ouléma pourra répondre que dans des circonstances analogues, les verset « en sommeil » pourraient être réactivés.
Ainsi tous ces versets violents, intolérants, vengeurs, cruels…ne seraient pas caduques mais joueraient le rôle d’agents dormants susceptibles de fournir des rationalisations pour commettre des actes cruels lorsque les circonstances l’exigeraient.
Il se trouve que ces passages violents sont toujours attachés à la période médinoise, à cette période où un Mohamed radicalisé et frustré par le refus des tribus juives de Médine de considérer son discours comme s’inscrivant dans la continuité du prophétisme hébreux, exprime ouvertement sa haine des juifs et dans une moindre mesure celle des chrétiens.
Ainsi selon le statut que l’on accorde au Coran et à certains de ses versets et selon le mode d’interprétation choisie, ces versets sont susceptibles d’offrir ou non des rationalisations de nature à soutenir les actes les plus horribles.
Sur les interprétations possibles du Coran, Yadh Ben Achour, professeur en Droit public et philosophie du Droit, spécialiste des idées politiques de l’Islam, s’exprime en ces termes :
« Nous entendons souvent dire que ce salafisme ne représente pas l’Islam, qu’il n’est qu’une déformation, sinon une perversion…
Pourtant, si nous voulons analyser avec plus de distance la situation, en nous écartant des points de vue idéologiques, nous aurons tôt fait de constater que la version intégriste représente une interprétation possible du texte fondateur lui-même ainsi que son expression dans l’histoire. Ce point de vue serait même le plus proche de la vérité du texte. »
Aujourd’hui, il n’est guère d’oulémas ou d’imams qui acceptent une interprétation du Coran autre que littérale, l’interprétation littérale limitant le champ des interprétations possibles et par conséquent les risques de division.
Car bien que l’on puisse considérer que l’islam est déjà divisée en plusieurs « mouvements », la phobie de la Fitna (division) est volontairement entretenue par les islamistes et sémiotiquement codée de sorte que les musulmans la perçoivent comme une catastrophe qu’il conviendrait d’éviter.
Par ailleurs, la plupart des musulmans et des oulémas persistant à voir dans le Coran la parole de Dieu, cela confère à ce texte une dangerosité qu’il n’aurait pas si le Coran se voyait appliquer un statut analogue à celui que l’Église catholique confère à la bible.
Dans son exhortation apostolique post-synodale « VERBUM DOMINI », le Pape Benoit XVI déclarait ceci : « La bible a été écrite par le Peuple de Dieu et pour le Peuple de Dieu, sous l’inspiration de l’esprit Saint »
Ainsi, la bible n’est pas la parole littérale de Dieu et nul théologien catholique n’est par conséquent contraint par une interprétation littérale.
Seuls les évangiles sont considérées comme l’incarnation de la parole de Dieu.
Pour le théologien catholique, la méthode historico-critique est donc permise et même souhaitable.
Au contraire, proposer une analyse historicocritique de « sa » religion à un musulman expose souvent celui qui s’y risque à entendre ce type de discours moqueur :
« Celui-ci prétend mieux connaître ma religion que moi ».
Or à l’évidence, connaître un objet religieux de l’intérieur ne suffit pas.
La mise à distance de cet objet est une nécessité pour celui qui veut le connaître.
Et qui est le mieux à même de prendre cette distance si ce n’est un non musulman ?
Aujourd’hui, l’islam n’accepte pas l’approche historico-critique, la recherche des emprunts, des influences, l’étude de l’incorporation des récits bibliques pour la simple raison qu’une telle approche présuppose que le Coran serait une création humaine et en aucun cas le résultat d’une dictée divine.
Ainsi, le « savant » religieux se limitera à l’étude de la Sunna pour interpréter au mieux le Coran de manière littérale.
Le musulman « progressiste » dissertera sur la forme du texte coranique et tentera d’y voir des motifs littéraires, y projettera un jargon académique pour soutenir l’idée d’une certaine transcendance, d’une beauté, de sorte à soutenir le caractère miraculeux du Coran.
Mais très peu de musulmans accepteront de s’intéresser au processus de rédaction du Coran, à ses différentes strates, aux polémiques du moment auxquelles il répondait, à ses emprunts, à ses appropriations bibliques, chrétiennes…
A titre d’exemple, les concordistes musulmans qui voient dans ce passage de la sourate 22 : 47, selon lequel « un jour de ton Seigneur est comme un millier de vos années » , la base du calcul de la vitesse de la lumière, n’apprécieront pas qu’elle soit analysée comme la copie de 2 Pierre 3.8-9 :
« Mais il est une chose, bien-aimés, que vous ne devez pas ignorer, c’est que, devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour… »
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