Il est de bon ton de dire que les races n’existent pas tout en employant le mot « racisme » à tort et à travers. Et pourtant, cette contradiction ne semble pas choquer.
Les départements de sciences humaines ou sociales se plaisent à expliquer qu’avant d’être une catégorie, un concept biologique, la race est une construction sociale.
Du point de vue biologique justement, la race est ce qui relie certains groupes humains partageant certains traits biologiques spécifiques.
La taxinomie des groupes humains en ethnies fondée sur des combinaisons de traits biologiques, physiologiques, génétiques, est à l’origine du concept de race.
Certains réfractaires à l’usage du terme « race » considèrent que les races n’existent pas vraiment parce qu’elles ont été créées par les scientifiques, non par la nature, et parce le concept de race se contente de prendre en compte des moyennes de fréquences statistiques de certains traits biologiques.
Evidemment ce n’est pas la nature qui produit les concepts. Et le concept de race est effectivement une création humaine. Et un concept qui par définition ne peut pas être qualifié de vrai ou de faux.
Ce qui conditionne l’usage d’un concept est le plus souvent son utilité, sa commodité, pour employer l’expression d’Henri Poincaré, ou sa fécondité (Popper, Lakatos…). Même si la race n’existe pas, une Africaine distinguera instantanément entre une Peul et une Bembée.
Aujourd’hui, le racisme proprement dit, c’est à dire cette théorie détestable selon laquelle les différences biologiques, physiologiques comme la couleur de peau ou la forme du visage détermineraient les mœurs et/ou le caractère et/ou l’intelligence a quasiment disparu, du moins en France.
Les théories racistes ont par ailleurs été disqualifiées par la science et les racistes au sens originel du terme sont une espèce en voie de disparation.
D’ailleurs le modèle assimilationniste français entérine de fait l’égalité entre les races.
Voici ce que dit en substance, Raphaël Doan[1] :
Selon le littré, assimiler c’est rendre semblable à soi. Assimiler, c’est donc voir en l’autre un possible égal de soi.
« L’assimilation est donc incompatible avec le racisme. Si l’on tient à ce que l’étranger devienne notre semblable, c’est qu’on accorde aucune importance à sa couleur de peau. »
De même le refus du métissage est équivalent au refus d’assimiler celle ou celui qui n’a pas la même couleur de peau.
« L’un des postulats de base de l’universalisme », suivant la conception française, est que chaque être humain possède les mêmes dispositions, les mêmes capacités, et donc la capacité de s’assimiler à toutes les cultures quels que soient leurs niveaux d’achèvement.
Dans l’histoire, « l’opposition à l’assimilation fut bien plus largement le fait de théoriciens de l’inégalité des races que des défenseurs des cultures opprimées. »
« Pour Hannah Arendt, la montée au pouvoir de Hitler fut perçue par les juifs allemands comme « la défaite de l’assimilationnisme. », les nazis ayant commencé à imposer la « dissimilation » aux juifs.
« Les xénophobes sont nécessairement anti-assimilateurs ».
« L’assimilation induit la capacité à se reconnaitre en l’autre et est donc « un puissant facteur de confiance. ».
Dans ces conditions, peut-on encore parler de racisme ou fabriquer des racistes nouvelle génération ?
Le racisme proprement dit ayant disparu, que reste-t-il du fonds de commerce des entrepreneurs de l’antiracisme et du ressentiment ?
Comment permettre à ceux qui jusqu’à présent instrumentalisaient ce terme pour faire avancer leur agenda politique de continuer à placer leur produit phare en tête de gondole de leurs luttes claniques ?
Comment s’y prennent-ils pour maintenir artificiellement en vie ce concept caduc qui vient armer certaines de leurs luttes ou opérations d’influence ?
Comment ressusciter le concept de racisme ?
La réponse est simple. Il suffit de procéder à un recodage sémiotique visant à assimiler la culture ou la religion à la race.
Le fait que ces concepts n’ont strictement rien en commun, si ce n’est d’être des créations humaines, n’est pas un problème, puisque l’effet illusoire de vérité permet à force de répétition de faire passer des énoncés peu plausibles pour des énoncés non discutables.
Assimiler la culture à la race et/ou la religion à la race, revient à assimiler toute critique d’un trait culturel attaché à telle ou telle culture et toute critique d’une croyance religieuse, d’un dogme, d’une position normative fondée sur un texte sacralisé, à une forme de racisme.
En réalité un tel recodage sémiotique vise à protéger les croyances, des traits culturels et à interdire de fait de les critiquer ou de porter des jugements de valeur.
Doit-on imposer le respect et interdire toute critique, moquerie, profanation symbolique des objets immatériels de vénération religieuses comme les croyances, les personnes auxquelles certains groupes attribuent la qualité de prophète ?
La réponse de principe est évidemment « non » puisqu’interdire la critique des croyances reviendrait à porter un sérieux coup à la liberté d’expression, à s’autocensurer et à interdire le débat.
Et puis si les croyances ou les superstitions n’avaient pas fait l’objet de dures critiques voire de moqueries, l’humanité n’aurait jamais évoluée et serait restée enfermée dans un obscurantisme primaire.
Dans « la société ouverte et ses ennemis » le grand philosophie des sciences, Karl Popper, fait de la critique la base de tout progrès au point qu’il affirme avec force la nécessité de l’institutionaliser de sorte à la rendre systématique.
Aujourd’hui, sans même parler des activistes religieux, certaines personnes considèrent qu’il faudrait tempérer la liberté de critiquer ou de se moquer des croyances religieuses, afin de ne pas offenser les croyants et surtout de préserver la paix sociale.
Ainsi il s’agirait d’éviter de faire enrager des personnes susceptibles de se montrer agressives lorsque leurs convictions ou leurs croyances seraient critiquées ou moquées.
Que dire d’une personne qui ne supporte pas que l’on critique ou que l’on se moque de ses croyances, si ce n’est qu’elle est assimilable à un enfant qui ne sait pas résister aux frustrations.
Protéger les croyances, en interdire la critique acerbe, pour qu’un individu ne soit pas confronté à ses frustrations est par analogie équivalent à couvrir complètement le corps de la femme pour dispenser le mâle de contrôler ses pulsions.
Une société qui dispense l’individu de tout travail sur lui-même visant à lui permettre de résister à ses frustrations, ne peut être qu’une société qui produit des individualités immatures, intolérantes et dogmatiques et qui sème les germes de l’intolérance, de la discorde sociale et de la guerre.
Les partisans de la « modération » en matière de critique de croyances religieuses, invoqueront parfois le caractère « offensant » des moqueries ou des profanations des objets immatériels de vénération religieuses.
Critiquer une figure considérée comme un prophète, critiquer un dogme, critiquer le statut accordé à tel ou tel texte sacralisé par les humains, reviendrait à s’attaquer à l’identité du croyant et à l’offenser.
Ici encore, ce type de discours ne tient pas si l’on veut bien abandonner le paradigme de la fragmentation du savoir que notre philosophe de la post-modernité, Jean-François Lyotard, semblait appeler de ses vœux.
En effet, une incursion dans le domaine de la philosophie de l’esprit, nous apprendrait que nous ne sommes pas nos pensées.
En d’autres termes il n’y a pas d’identité entre croyances et croyants. Et ce n’est pas parce qu’une personne religieuse affirme que le créationnisme est une croyance qui fonde son identité ou fait partie intégrante de son identité qu’il doit être interdit de critiquer voire de se moquer de cette croyance selon lesquelles Adam et Eve auraient vraiment existé.
En réalité, il n’existe pas d’identité entre le « Je » que j’emploie lorsque l’organisme que je suis, parle de lui-même, et un moi, qui n’est d’autre qu’une fiction, une construction narrative, une bulle narrative qui contient toutes les histoires que l’on se raconte sur soi-même, que les autres racontent sur nous-mêmes, histoires que nous acceptons parfois trop facilement.
Il n’y a pas d’identité être un état de conscience à un moment T et l’état de conscience qui lui succède à un moment T+1, nos pensées ne cessant de fluctuer.
Le sentiment d’une telle identité est entretenu par l’idée d’une persistance à travers le temps de la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes.
Il faut également noter qu’il n’y a pas d’identité entre le sujet pensant que je suis et la représentation que je m’en fais.

Par ailleurs, les représentations de nous-même que nous sécrétons sont fluctuantes, des micro-fluctuations étant même possible d’heure en heure, et parfois de véritable ruptures d’années en années.
Pour gagner en cohérence, il est préférable de parler d’identification et non d’identité.
L’identification, contrairement à l’identité n’est pas une relation entre deux entités, mais un processus sur lequel nous avons un certain pouvoir. Nous sommes dans une certaine mesure le maître de ce moi narratif que nous façonnons continuellement et auquel nous nous identifions volontiers.
Comme le dit en substance Daniel Dennett[2] : les histoires que nous nous racontons sur nous-mêmes, tous ces récits qui viennent alimenter ce moi narratif individuel, ne sont que des tours, des scripts, que nous ne jouons pas, mais qui pour leur part la plus large se jouent de nous.
Finalement, le sujet pensant en s’identifiant à ses croyances s’essentialise en faisant de ses croyances non pas le résultat d’un choix susceptible d’évoluer mais une partie attachée à moi figé et réifié.
Réifier une croyance, c’est tomber dans le pièce de l’identité entre le sujet et ses croyances, entre le sujet et la représentation qu’il se fait de lui-même.
Les activistes religieux et notamment le système d’action frèriste qui excellent dans le recodage sémiotique et la manipulation des représentations de soi, utilisent ce ressort pour fournir à leurs cibles, le script suivant visant à soustraire leurs idéologies religieuses à la critique et à la moquerie :
1°) La croyance « A » est une partie centrale de mon identité ;
2°) Mon identité est ce que je suis ;
3°) En critiquant ou vous moquant de la croyance « A », partie centrale de mon identité, vous m’offensez ;
4°) L’offense contre une personne est une forme d’agression ;
5°) Vous m’agressez en raison de mon identité (puisque la croyance A est une partie intégrante de mon identité) ;
6°) Vous êtes raciste (puisque la critique des croyances est assimilée à une forme de racisme) et vous devez être sanctionné(e);
Concernant la critique des aspects culturels, de la même façon, une stratégie similaire peut être mise en place pour l’interdire de fait.
Finalement, le prétexte de l’offense ou de la paix sociale ne tient pas et y céder revient à installer des bombes à retardement qui généreront plus tard des guerres sociales, à laisser se développer des personnalités dogmatiques incapables de résister aux frustrations, intolérantes, et à favoriser la dissémination de toutes sortes de croyances et de superstitions réfutables pour certaines et parfois réfutées par la science, dont on croyait qu’elles avaient définitivement disparues du paysage cognitif français. Interdire la profanation d’une croyance ne peut générer qu’une régression.
En conclusion, seule la haine des croyants, des non-croyants, des agnostiques, des noirs, des blancs, des jaunes, des métisses… des êtres humains doit être combattue mais surtout pas la critique ou la détestation d’une idée, d’une croyance ou d’un dogme, au motif que cela constituerait une offense ou un risque de discorde sociale.
[1] Raphaël Doan, Le rêve de l’assimilation de la Grèce Antique à nos jours, Passés Composés.
[2] Daniel Clement Dennett, Philosophe américain, spécialiste en sciences cognitives